Les Préludes de Louis Couperin, par Anne Chapelin-Dubar

Résumé de la conférence-concert donnée par Anne Chapelin-Dubar aux journées de Lyon 2008.

Conférence du 9 mars 2008 : Les préludes non mesurés de Louis Couperin

Louis Couperin emprunte aux luthistes l’idée du prélude non mesuré, mais il invente un « nouveau code » pour les clavecinistes. Hélas il meurt trop jeune sans avoir publié ses œuvres et donc sans avoir pu donner les clés de lecture de ce code.

Ce qui a motivé la recherche est la grande différence des textes selon les éditions, d’où la difficulté évidente pour l’enseignant de justifier telle ou telle version. La difficulté majeure est que les deux sources anciennes ne sont pas des autographes mais des copies tardives (20-25 ans après le décès de Louis Couperin). Les six éditions modernes offrent des différences frappantes. Une comparaison minutieuse tout d’abord des copies anciennes, fragment par fragment puis leur confrontation de la même manière aux quatre dernières éditions modernes (réalisées à partir des deux sources) a été effectuée, à l’aide d’outils d’analyse nettement définis : terminologie des lignes, ornementation, doigtés, organologie, tempéraments, style et écriture. Cette nouvelle approche critique a donné la conclusion suivante : nous n’avons qu’une source principale : le Ms Bauyn ; le Ms. Parville en est issu ou issu d’une copie de Bauyn. D’où la nécessité d’élaborer une nouvelle partition des préludes, mais, pour chaque fragment problématique, en justifiant le choix proposé par des arguments étayés par les « outils » précités. Cet itinéraire passionnant est une porte ouverte vers une meilleure compréhension du texte.

Louis Couperin fut un esprit curieux, avide de nouveauté, inventif et audacieux, d’une grande sensibilité, et qui, en réalisant la synthèse des styles du prélude de luth et de la toccata italienne de clavier, « inventa » ce que nous pourrions appeler le prélude-toccata ou une toccata a la francese pour le clavecin.

Sources :

Le Manuscrit Bauyn, (Vm7 675) de la BnF ; Le Manuscrit Parville, (M 778) de l’Université de Berkeley (Californie)

Editions :

Paul Brunold, 1936, L’Oiseau-Lyre ; Thurston Dart, 1959, L’Oiseau-Lyre ; Alan Curtis, 1970, Heugel, Collection Le Pupitre ; Davitt Moroney, 1985, L’Oiseau-Lyre ; Colin Tilney, 1991, Schott (fac-similés et édition moderne) ; Glen Wilson, 2003, Breitkopf ; Fac-similés du Ms. Bauyn, Minkoff, 1977-1998, Fuzeau, 2006.

Deux autres ouvrages importants pour l’étude

Paul Prévost, Thèse sur le Prélude non mesuré, 1982 (édition, 1987), Valentin Koerner. Pièces d’orgue de Louis Couperin, éd. par Guy Oldham, 2003, L’Oiseau-Lyre.

Terminologie des lignes

La tenue simple ; la tenue harmonique ; la liaison ; la liaison d’articulation ; les courbes emboîtées (signe incompris du copiste de Parville) ; l’accolade ; la barre d’intervention ; la barre de simultanéité ; la barre d’unisson. (voir exemples ci-dessous).

Tenues simples
Ex.1

Tenue harmonique (A)
Ex.2

Liaisons (A, B, C)
Ex.3

Liaisons d’articulation
Ex.4

Courbes emboîtées
Ex.5 Bauyn                 Ex.6 Bauyn

 


Accolade
Ex.7

Barre d’intervention
Ex.8

Barre de simultanéité Barre d’unisson
Ex.9  Ex.10

 


Autres signes étudiés, les guidons :
Les guidons d’annonce des notes à venir ; Les guidons de rappel des tenues précédentes ; Les guidons de transfert d’une main à l’autre.

Guidons de rappel
Ex.11

Ornementation

Il existe : Des ornements répertoriés ensuite par d’Anglebert ; Des ornements non répertoriés chez d’Anglebert, mais qui sont présents dans les traités de chant (Bacilly, Millet, L’Affilard) ou de luth (Burwell) ou dans « Les Principes du Clavecin » de Saint-Lambert (1702) ; Des associations d’ornements ; Des formules ornementales comme dans les doubles des Airs de Michel Lambert, Michel de La Barre, Honoré d’Ambruis, Bacilly, Nivers etc.. En tout 30 ornements et associations, sans compter les formules ornementales innombrables et variées.

Doigtés

Il s’agit bien sûr des doigtés anciens donnés dans la préface des livres d’orgue de Nivers (1665), les pièces d’orgue doigtées de Raison (1688), dans « Les Principes du Clavecin » de Saint-Lambert (1702) et dans « L’Art de Toucher le Clavecin » de F. Couperin (1716). Influence sur la sonorité et l’articulation. Le clavecin de Louis Couperin a beaucoup d’attaque comme tous ceux du XVII° en Europe, et son étendue est sol/si pour tous les préludes sauf le n°7 qui peut être joué sur ut/mi, comme 30% des pièces de clavecin de cet auteur.

Tempéraments

Le traité de l’accord de l’épinette de Jean Denis (1643) donne le mésotonique classique ; La postface des pièces d’orgue de Lambert Chaumont (1695) donne le même tempérament et indique une manière de le modifier « à l’avenant ». D’où plusieurs possibilités de tempérament attestées par la composition elle-même d’après les sauts dissonants expressifs (6 possibilités). Le mélange sol mineur/la majeur n’est pas envisageable à l’époque dans le même programme (sans un ré-accord du clavecin). La présence d’un ré# ou d’un la# dans un prélude en bémols ne signifie pas qu’il faut faire un compromis, mais qu’il y a une ambiguïté voulue de la part de l’auteur, pour cette note ornementale.

Selon le programme choisi on peut adopter un tempérament associant par exemple :

  1. ré mineur, sol mineur, do majeur (mésotonique classique) ;
  2. fa majeur, sib majeur, sol mineur (avec un lab) ;
  3. fa majeur, do mineur, sib majeur (avec un lab et un réb) ;
  4. ré majeur, sol majeur, si mineur, mi mineur (avec un ré# et un la#) ;
  5. la majeur, mi mineur et fa# mineur (avec un ré#, un la# et un mi#).
  6. la mineur demande le ré-accord du ré# si on le joue à la suite de do majeur, sinon on peut l’associer au n°4 (c’est une question d’interprétation du sib dans ce prélude).

Traits stylistiques
Cascades à l’italienne. Traitement des dissonances dans les parties autres que les extrêmes (5 barré → 5 ; 5 barré → 1 ; 5 barré → 6 ; +4 → 4 ; +4 → 8 ; doublures de septièmes ; doublures de quintes diminuées ; accords de septième diminuée toujours incomplets : 2 complets dans une danse, dans tout l’œuvre de L.C.). Cadences classiques du contrepoint (parfaite, imparfaite ou attendante, rompue avec enchaînement de septièmes, plagale (terme inusité à l’époque) qui est une cadence de substitution, phrygienne, cadentiae duriusculae. Nombreux mouvements parallèles de tierces ou de sixtes : le contrepoint détermine les accords ; Procédés rhétoriques analogues à ceux de Froberger (et décrits par Athanasius Kircher, Burmeister, Christoph Bernhardt cf. Article « Rhetoric and music » de Buelow dans le New Grove Dictionnary) : anabases, catabases, saltus duriusculus, hétérolepsis, ellipsis, passus duriusculus, syncopatio catachrestica, interjectio etc.