Quelques notes sur L’Art de toucher le Clavecin
Quelques notes sur L’Art de toucher le Clavecin de François Couperin
Olivier Baumont (décembre 2004)
Les quelques notes qui suivent font simplement
état de
quelques réflexions qui me sont venues en relisant L’Art de toucher le Clavecin. Elles sont
un résumé de mon intervention sur ce sujet lors de la première session
de « Clavecin en France » en mai 2004.
I. Rappels biographiques
François Couperin naquit le 10 novembre 1668 à Paris, et y mourut le 11 septembre 1733.
En décembre 1693, il fut nommé par Louis XIV organiste de la Chapelle royale pour le quartier de janvier ; il commença presqu’en même temps à enseigner au duc de Bourgogne (petit-fils de louis XIV et père de Louis XV) et à six princes ou princesses de la maison royale (parmi lesquels la princesse de Conti, fille du roi et de Mlle de La Vallière, et le comte de Toulouse, fils du roi et de Mme de Montespan). La charge de claveciniste du roi était alors tenue par le fils d’Anglebert, Jean-Baptiste Henry. Celui-ci, presque aveugle, était
constamment remplacé par Couperin dans ses fonctions. Le 5 mars 1717,
Couperin obtint du roi (en fait du Régent) la survivance de cette charge, c’est à dire le droit, à la mort du fils d’Anglebert, de devenir titulaire de cette charge avec les émoluments qui y sont afférents. Le 16 février 1730, Couperin sentant ses forces diminuer, il transmet cette survivance à sa fille Marguerite-Antoinette. Il meurt en 1733, et au
moment de la mort du fils d’Anglebert en 1735, Louis XV supprime cette charge. Ainsi, ni Couperin ni sa fille ne purent bénéficier des honneurs d’une charge qui, artistiquement, leur revenait de droit.
II. L’œuvre de clavecin
La publication des œuvres pour clavecin de François Couperin
s’étend de 1707 à 1730.
En 1707 paraît chez Christophe Balard une anthologie
intitulée Pièces choisies pour le Clavecin de différents auteurs qui présente quelques pièces de clavecin de Couperin. Ces pièces ont plus d’importance qu’on ne le croit, comme le souligne
David Fuller D. Fuller, [1]. Elles ne sont pas des danses mais des pièces de
caractère, celles justement qui vont devenir l’une des marques distinctives du style de clavecin de Couperin.
Puis de 1713 à 1730, paraissent à Paris les quatre Livres de clavecin (1713, 1716 ou 1717, 1722, 1730). Là, Couperin regroupe ses pièces en Ordres [2], autour d’une même tonique (avec une alternance de mode
majeur et mineur, sauf pour les pièces en si bémol majeur, en si mineur
et en fa dièse mineur).
Les écrits théoriques de Couperin comprennent les Règles pour l’Accompagnement, restées manuscrites, et L’Art de
toucher le Clavecin paru à Paris en 1716 puis en 1717.
III. L’Art de toucher le Clavecin
L’édition définitive du volume date de 1717. Par rapport à
la première édition de 1716, une nouvelle page de titre est gravée, six
pages de suppléments sont ajoutées, et bien des détails dans le texte ont été changés ; je renvoie pour ces questions à l’article de Davitt
Moroney [3].
La page de titre. L’art de « toucher », Couperin
emploie ce terme pour le jeu du clavecin, bien sûr, mais aussi pour le
rapport avec le public (« toucher les Personnes de goût », page 15 de
l’édition de 1717).
Souvent, les « fac-simile » actuels reproduisent un exemplaire tardif du volume (par exemple les éditions Minkoff, Genève). Ainsi on peut lire sur la page de titre que l’ouvrage est en vente chez un « Mr Couperin organiste de St Gervais proche l’Eglise ». Il s’agit de Nicolas Couperin, cousin de François le Grand et fils de François l’Ancien, qui prit en 1745 un nouveau Privilège pour la réimpression des œuvres de son cousin.
La dédicace Au Roi. Il s’agit du jeune Louis XV, âgé alors de six ou sept ans. C’est pourquoi Couperin, s’adressant à un enfant, écrit cette belle phrase « Si séparement d’être à Elle [Sa majesté] je puis
apprendre dans
quelques années qu’elle l’ait approuvé [le livre], alors, rien ne
sera plus
capable de remplir les vœux... ».
Après une Préface
qui insiste sur le caractère « unique » de cette méthode qui
ne décrit pas la tablature mais le « beau Toucher du Clavecin »
et le « goût qui convient à cet instrument », le Plan
de cette méthode en indique les cinq parties :
- La position du corps, celles des mains
- Les agréments quiservent au jeu
- De petits exercices
- Quelques remarques sur la manière
de bien doigter
- Huit préludes diversifiés
Avant d’évoquer les cinq parties du livre, précisons une
chose. Que n’a-t-on écrit sur le style littéraire de Couperin ! Il l’évoque lui-même dans son Troisième
Livre de pièces de Clavecin : « Je demande grâce à Messieurs les Puristes et Grammairiens sur le stile de mes Préfaces : j’y parle de
mon Art... ».
Ne soyons pas injustes avec l’auteur et ne comparons pas ses écrits
avec ceux
de Saint-Simon ou de La Bruyère mais avec ceux des peintres, des
architectes,
des médecins, des avocats ou des scientifiques de cette époque, avec
ceux qui « parlent de leur Art », sans être des professionnels de
l’écriture.
On verra alors à quel point le style de Couperin est magnifique,
parfois
fulgurant et toujours imaginatif. C’est qu’il est plus vrai qu’il n’est
parfait.
La position du corps, celle des mains. On peut reconstituer par ce long texte (pages 2 à 18 de l’édition de 1717) une véritable leçon de clavecin donnée par le musicien.
L’âge des débutants est de six à sept ans (page 3). Il faut
en début de cours ajuster une chaise à la taille de l’enfant, sans
laisser les jambes ballantes (page 3). Il ne faut jouer au début qu’avec un clavecin
faiblement emplumé (page 6). Il ne faut pas que les débutants
travaillent en dehors du cours (page 7) qui doit durer 3/4 d’heure (page 8), Il faut apprendre le nom des notes du clavier aux enfants (page 13). Couperin évoque deux fois
l’importance du jeu par cœur pour les clavecinistes : jouer
« sans le secours de Leurs Livres » (page 6), apprendre la tablature
qu’après qu’ils
aient « une certaine quantité de pièces dans les mains »
(page 12).
Puis dans les autres parties de l’ouvrage, il
conseille
d’établir un programme d’étude de six pièces de différents caractères
qui
« met en état d’en joüer beaucoup d’autres » (page 26). Il conseille aussi de ne commencer
l’apprentissage
de l’accompagnement qu’après deux ou trois ans de clavecin (page 42).
Les agréments qui
servent au jeu. Ce chapitre est bien connu, je signale juste la
réflexion de Couperin concernant la possibilité de varier les
tremblements : « Il y en a d’appuyés ; d’autres qui sont si
courts
qu’ils n’ont ny appuy, ni point d’arrest.
On en peut même faire d’aspirés » (page 24).
Evolutions ou
petits exercices pour former les mains. Les pièces présentées
ici pour
la main droite puis la main gauche sont de vraies compositions
autonomes,
souvent fort belles. Elles sont plus proches des parties de main droite
ou de
main gauche des pièces de clavecin du compositeur (ou des parties de
dessus ou
de basse d’un Concert royal ) que d’exercices
rébarbatifs. Un premier morceau, à deux mains, est présenté dans cette
partie.
« L’Auteur l’a composé exprès ».
C’est une Allemande. Légèrement, proche des Sonades à
l’italienne. Couperin recommande
d’apprendre ce genre d’œuvres après avoir travaillé de « vrayes
pièces de clavecin » (page 38), c’est à dire avec des
« parties lutées et sincopées » (page 36) et
avec plus
d’agréments que dans les Sonades (page38).
Dans ce chapitre, on trouve un aspect très caractéristique
du compositeur. Une ambiguïté existe constamment chez lui entre
l’admiration
pour ses prédécesseurs et sa volonté d’imposer son propre style. Il
écrivait en
1713 ( Préface des Pièces de Clavecin,
Premier Livre ) que
les ouvrages de ces ancêtres sont du « goût de ceux qui l’ont
exquis »
mais, peu après, dans cette partie de L’Art de toucher le Clavecin, il trouve que « le bon-goût d’aujourd’huy,... est sans comparaison plus pur que l’ancien » (page 36). C’est que l’œuvre
de
Couperin est riche de cette impossible
entente entre
la vestale et le voleur de feu, entre la tradition et la nouveauté,
entre le
Grand Siècle et le Siècle des Lumières.
Endroits...
difficiles à doigter. Je mentionne simplement deux mots de
Couperin. Le mot « épineux » est employé par Couperin pour un endroit
difficile
(page 48) et nous donne sans doute une indication sur le sens de L’Epineuse du Vingt-sixième
Ordre( Quatrième Livre ). Couperin emploie le
mot « rangement » pour un passage qu’il a doigté (page 69).
Voici
peut-être un joli mot à utiliser pour les élèves !
Huit Préludes
diversifiés. Il y a quatre « petits » préludes
imprimés
chacun sur une page, puis quatre « grands » préludes imprimés
sur
deux. Le Premier Prélude est composé
dans ce style luthé qui est la fierté de
l’auteur : il se fait portraiturer par André Bouys
(le tableau n’est aujourd’hui connu que par la gravure de Jean-Jacques Flipart) avec sa pièce Les
Idées heureuses, entièrement écrite en style luthé.
Curieusement, même dans le style libre des
préludes,
Couperin donne un Second Prélude,
proche d’une Allemande et un Troisième
qui pourrait presque être proche d’une Courante... comme si une sorte
de geste
chorégraphique était toujours sous-jacent.
Il n’est pas exagéré de dire que ces huit Préludes sont aussi importants pour les
clavecinistes que les vingt-quatre Préludes
de Frédéric Chopin pour les pianistes.
L’Art de toucher le Clavecin connut un grand succès après sa parution. Il fut réédité après la mort du compositeur et traduit en allemand par
Friedrich Wilhelm Marpurg en 1751.
Cet ouvrage est rédigé par l’un des plus grands
compositeurs
de l’histoire de la musique, l’un des meilleurs instrumentistes de son
temps et
de surcroît un pédagogue prestigieux. Couperin réalise dans sa méthode
une
splendide cohésion entre réflexions pratiques et théoriques.
Peut-être existe-t-il des discours de la méthode
plus
organisés, il n’en est pas de plus inspirés.
[1] « Of Portraits, ‘Sapho’ and Couperin : Titles and Characters in French Instrumental Music of the High Baroque », Music &
Letters, LXXVIII, 1997, p. 149-74.
[2] O. Baumont, « L’Ordre chez François
Couperin », François Couperin, nouveaux regards, Klincksieck, 1998, p. 27-41
[3] D. Moroney, « Couperin et les Contradicteurs », François
Couperin, nouveaux regards, Klincksieck,
1998, p. 163-186
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