« De l’improvisation, du 1er cycle...au supérieur »

Les journées de Clavecin en France
dimanche 9 mars 2008. CNSMD de Lyon
compte rendu de la table ronde :

« De l’improvisation, du 1er cycle...au supérieur »

rapporteur : Thomas Yvrard (étudiant au CNSMD de Lyon)

Martine Chappuis expose le thème de la table ronde :

« Que peut-on faire sur le plan de l’improvisation au sein de classes de clavecin, aujourd’hui, en France »

et en annonce le déroulement :

I - L’expérience d’Élisabeth Sotinel au CRD de Dieppe

II - L’expérience de Dirk Börner au CNSMD de Lyon

III - Petit concert...

IV - Intervention de Martine Chappuis pour lancer le débat


 I - L’expérience d’ Élisabeth Sotinel au CRD de Dieppe

La classe de Dieppe compte environ 25 élèves de tous les âges ; tous improvisent. La pratique de l’improvisation se fait en collaboration avec les classes de viole, luth, flûte à bec et traverso.

Le CRD de Dieppe a la chance d’avoir quatre clavecins réunis dans la même classe ce qui est mis à profit notamment pour improviser à plusieurs.

Élisabeth Sotinel propose de nous expliquer son travail avec les différents niveaux.

  • « premiers pas » : avec les tout petits, les improvisations sont avant tout ludiques et permettent l’exploration géographique du clavier, ainsi que l’exploration des différents modes de jeu, des tessitures, attaques...

Par exemple, le professeur joue un bourdon sur le clavier supérieur et un élève improvise par dessus, prenant la parole, la cédant, et dialoguant avec les autres... L’improvisation part très souvent d’une histoire elle aussi improvisée et peut s’étayer sur un dessin.

Le jeu des questions/réponses (phrase allant à la dominante ou à la tonique, conclusives ou suspensives etc.) permet d’amener de manière très spontanée le langage de la tonalité et les modulations, et de les faire vivre de l’intérieur tout en favorisant l’éducation de l’oreille.

  • Durant le premier cycle sont abordées les basses très simples. Élisabeth Sotinel propose de manière pratique d’avoir un cahier où l’on note sur une page la basse et ses différentes réalisations en basse continue et sur la page en regard des idées pour improviser sur ladite basse, avec par exemple des formules de cadence. Elle propose que les supports des cours de basse continue soient contenus dans le même cahier en le prenant « à l’envers », afin que les deux matières aient le plus de proximité possible.

En fin de premier cycle le élèves jouent pour leur examen un passamezzo à deux clavecins.

  • En deuxième cycle les élèves élargissent leur répertoire de basse, précisent les formules qu’ils utilisent, et font des parallèles avec le répertoire travaillé.

Ils jouent pour leur examen une chaconne en trois parties (par exemple mineur-majeur-mineur) toujours à deux clavecins.

  • Enfin en de troisième cycle les élèves abordent les préludes non mesurés sur des basses.

Élisabeth Sotinel précise qu’elle travaille notamment avec l’ouvrage de Pascale Boquet et Gérard Rebours : « 50 standards Renaissance et Baroque » paru chez Fuzeau.


 II - L’expérience de Dirk Börner au CNSMD de Lyon

Dirk Börner explique qu’il n’y a pas de cours d’improvisation régulier au CNMSD de Lyon, mais que sa pratique est intégrée au cours de basse continue. Cet enseignement a pu être introduit grâce à l’amélioration du niveau des élèves en basse continue à leur arrivée au CNMSD , et connaît un grand essor à Lyon depuis la venue de Rudolf Lutz pour des masterclass consacrées à l’improvisation.

Il nous explique les différentes manières d’improviser qui ont été pratiquées à Lyon :

  • Les « partimenti » :

Ce sont des études de basse continue sans dessus et dans lesquelles les auteurs suggèrent des formules à intégrer. Ils développent l’inventivité et peuvent aussi servir à travailler la technique. Les partimenti sont une excellente étape intermédiaire entre la basse continue et une improvisation libre.

Entre autres sources sont cités :

les Probestücke de Mattheson comprenant deux cycles de 24 études ("Grosse
generalbassschule", 1737)

les partimenti de Mancini (conservés à la BNF) et de Durante (Naples)

« Musikalische Handleitung » de Friedrich Erhard Niedt, Leibzig1710-21 ; l’auteur y montre comment à partir d’une seule basse on peut improviser toute les pièces d’une véritable suite.

Dirk rappelle qu’on peut élaborer des partimenti à partir de toute pièce intéressante.

  • Les préludes non mesurés « dans le style de Louis Couperin » : un travail d’analyse a été réalisé afin d’essayer de dégager des caractéristiques stylistiques et des catégories sur lesquelles on peut travailler pour l’improvisation telles que les standards harmoniques, les arpègements, les ornements, « les italianismes », etc.
  • Les toccate italiennes ont été abordées en utilisant la méthode historique de Spiridionnis (« Nova Instructio », Bamberg 1670, édité par Edoardo Belloti), qui propose un grand nombre de solutions pour les progressions de basse les plus courantes afin « de se mettre du vocabulaire dans les doigts » ;
  • cette méthode propose aussi de très petits fugati qui permettent d’aborder ce style et d’entrer dans le monde des fugues...

 III - Petit concert...

Trois improvisations sont proposées par les étudiants du CNMSD de Lyon, qui correspondent au travail mené actuellement avec Dirk Börner :

  • Des variations à deux clavecins sur la première Aria du recueil Hexacordium Apollinis de Pachelbel : on utilise la basse de l’aria comme partimento, et on prend comme déroulement pour les variations celui pris par Pachelbel, en s’inspirant des motifs qu’il propose.
  • Un fugato précédé de sa toccata. Pour le fugato, l’objectif est de rester simple,de se donner un objectif très concret et modeste ; ici il s’agit de ne pas moduler et d’utiliser un matériel thématique toujours identique pour les divertissements.
  • Un « duo franco-germanique », chaque étudiant étant le représentant d’un style et essayant d’improviser des passages « typiques » dans le cadre d’un prélude et une passacaille.
Passacaille(3Mo)
Duo franco-germanique, Hélène Diot et Thomas Yvrard.

 IV - Débat

Après ce moment musical, les idées semblent plus claires quant à ce que peut apporter l’improvisation : la créativité !

Martine Chappuis souligne alors l’apport essentiel de l’improvisation qui permet l’appropriation des pièces du répertoire. L’idée est de jouer les pièces avec les yeux et les oreilles du créateur.

Elle poursuit en pointant la trop grande difficulté harmonique des pièces données parfois aux jeunes enfants qui ne peuvent avoir la compréhension véritable du morceau, comme par exemple la majorité des pièces de J.S.Bach.

Elle propose que soit réévaluée la difficulté des pièces selon leur niveau harmonique.

Elle demande également l’aide de CLEF pour une formation à l’improvisation. des professeurs déjà en poste.

Mireille Podeur mentionne également le fait que l’improvisation permet de dépasser des problèmes techniques et des blocages qu’on développe dans le répertoire.

La question vient alors : Faut-il un professeur d’improvisation ?

Dirk Börner mentionne le danger qu’il y a de cloisonner les enseignements. On a déjà dans plusieurs établissements des professeurs différents pour le répertoire et la basse continue ce qui s’est avéré fort positif ; mais le fait de séparer ces matières présente aussi le danger d’oublier à quel point elles sont liées. Dans cette optique il n’est pas sûr qu’un cours d’improvisation doive être créé systématiquement. L’improvisation peut être aussi intégrée dans un cours de basse continue. Le
professeur ne se place alors pas comme un garant d’un savoir absolu, mais comme quelqu’un de plus expérimenté, avec simplement ...une longueur d’avance ! Il peut initier un mouvement et préparer le terrain pour la venue d’un véritable improvisateur. Le fait d’improviser, à quelque niveau que ce soit, permet d’appréhender la musique comme une langue vivante.

Michel de Mayer rebondit en disant que la vie et la créativité générées par l’improvisation donnent un sens à l’avenir musical (et pourraient le convaincre de recommencer à construire des clavecins...).

Valérie Louis, professeur de pédagogie fondamentale au CNSMD de Lyon, exprime son approbation quant à l’attitude pédagogique proposée ici, qui permet l’appropriation de différents savoirs.

La question de l’improvisation pour les débutants est lancée, on souligne notamment que les jazzmen ne prennent pas de débutants, mais apprennent l’improvisation à des personnes qui ont déjà de bons acquis instrumentaux.

Alain Cahagne demande qu’on ne mette pas le mot improvisation « à toutes les sauces », soulignant l’importance des notions de style et de structure dans l’improvisation, et prenant l’exemple des traditions d’improvisation des organistes. Une autre intervention soulève le problème de l’enseignement de la formation musicale en général. Anne Dubar raconte avoir construit une entrée de fugue à troix voix avec trois élèves qui chantaient ( « Gloire à toi, Jean Sébastien Bach... »).

Quant à la formation musicale en général, Thomas Yvrard mentionne le travail mené par Jean Yves Haymoz au CNMSD de Lyon en contrepoint improvisé, qui initie les étudiants aux différentes techniques de ce domaine (fantaisie sur un cantus firmus, canons, biciniums...)

Élisabeth Sotinel rappelle que l’improvisation n’est jamais du temps perdu : elle développe des capacités d’intégration et une intelligence de la musique qui font au contraire gagner beaucoup de temps par la suite. Il faut élargir les champs d’action. Alain Cahagne partage cet avis et rappelle qu’il y a de plus en plus de clavecinistes/organistes (et vice-versa) et que le développement de l’improvisation va sans doute être rapide : il y aura de plus en plus de jeunes professeurs qui transmettront cette formation à leurs futurs élèves.

Olivier Papillon nous explique qu’il est demandé pour les examens du conservatoire de Millau d’improviser une paraphrase du morceau d’examen et demande comment les professeurs peuvent l’enseigner s’ils n’ont pas été formés à cette discipline.

On rappelle qu’il ne faut pas mettre de pression par rapport aux « performances » techniques et laisser aux élèves le temps de se développer, notamment grâce à l’improvisation. De ce point de vue les professeurs enseignant dans un CRD ont parfois plus de latitude que ceux des CRR, où la pression quant au niveau est plus sensible.

Élisabeth Sotinel nous dit qu’à Dieppe, l’improvisation à été intégrée au projet d’établissement et qu’il a alors été demandé au CNFPT d’organiser des stages pour former les professeurs.
 [1]

Aline Zylberajch conclut ces échanges passionnants en relevant qu’il y a eu énormément d’avancées depuis les premières discussions sur ce sujet, voici quelques années. De nombreux pédagogues s’intéressent à cette question et beaucoup de pistes ont été lancées, ouvrant la voie aux jeunes générations.

Thomas Yvrard


[1Je me permet de rajouter ici quelques mots sur le projet de l’école de musique de Bry sur Marne quant à l’improvisation : il a été demandé à chaque professeur les manières, les jeux, les exercices qu’il utilise pour improviser et pour faire improviser. Tout ceci doit être compilé et à la fin de l’année tous les professeurs de l’école se réuniront pour improviser ensemble selon toutes les idées imaginées...