Le phénomène clavecin en 1978, par Alain Anselm

Article paru en 1978 dans le numéro 4 « spécial clavecin » de la revue Musique et loisirs, publiée par l’association « le Cercle musical de Paris ».

Ce texte est un article écrit en 1978 pour la revue « Musique et loisirs », à diffusion très restreinte, et qui a cessé de paraître peu après, il a donc été peu diffusé.
Son but était de dresser un bilan du renouveau du clavecin dans un univers
où régnaient, à mon avis, une certaine confusion, d¹où une volonté de
classement et de clarification des diverses manières de produire et de
restaurer des clavecins.
Je le croyais obsolète, je me suis rendu compte que bon
nombre de constatations étaient toujours d¹actualité, et qu¹il pouvait avoir
une sorte de fonction pédagogique pour les jeunes clavecinistes qui étaient
à l¹école maternelle à cette époque-là.

Voici bientôt trente ans, faisant suite aux recherches de pionniers tels Arnold Dolmetsch et Hugh Gough, l’installation de l’atelier de Franck Hubbard et William Dowd à Boston devait marquer le début de ce que l’on a coutume d’appeler le renouveau du clavecin. Ce mouvement devait se développer rapidement dans divers pays à la suite de la parution en 1965 de l’ouvrage de Franck Hubbard Three centuries of harpsichord making, retraçant l’histoire de la facture de clavecin du XVIe au XVII le siècle.

Notre propos n’est pas ici de retracer cette évolution, mais plutôt de faire le point sur la situation de ce que nous appellerons le phénomène clavecin en 1978, et ceci en axant notre analyse sur les deux pôles autour desquels s’articule le plus souvent l’intérêt que beaucoup de gens portent aujourd’hui au clavecin : instruments anciens/instruments neufs. Bien entendu les propos qui vont suivre n’engagent que leur auteur.

II semble maintenant admis et même naturel de partir des instruments anciens quand on aborde la question du clavecin, qu’il s’agisse de facture ou d’interprétation. Ainsi la pratique de la musique ancienne sur instruments originaux ou copie d’originaux, qui était le fait de quelques isolés il y a encore une quinzaine d’années, est aujourd’hui un phénoméne répandu. Mais comme pour tous les mouvements de ce genre, il convient de faire la part du goût, d’un souci de recherche et d’authenticité, de l’enthousiasme sincère, du snobisme, de la récupération, et ... du commerce.

Les instruments originaux ont été la base du renouveau du clavecin parce qu’ils ont servi de modèle, d’école en quelque sorte à de nombreux facteurs depuis près de trente ans. Ils ont aussi permis aux interprètes, jusqu’alors habitués aux instruments produits par les usines allemandes ou par des facteurs de pianos reconvertis, d’aborder la musique de clavecin avec une autre sonorité et un autre toucher.

Mais qu’attendons-nous maintenant des instruments anciens ? Doit-on les restaurer, les jouer, les étudier ?

 Restauration et conservation

Si les premières restaurations furent nécessaires pour nous permettre d’avoir une idée plus précise de la sonorité de ces instruments, et nous donner envie d’en construire, il n’en est peut-être plus de même aujourd’hui. II est grand temps de dire que nous nous faisons une idée un peu trop innocente de ce qu’est une restauration. Restaurer c’est, en principe, remettre un instrument ou un objet ancien dans son état original ; en pratique, c’est intervenir sur un instrument qui ne fonctionne plus. II faut savoir que toute intervention sur un instrument ancien modifie inévitablement et irréversiblement son caractère original. En Europe, on restaure chaque année - tant pour les musées que pour les collections particulières - plus d’une quinzaine de clavecins anciens, et ce depuis plus de dix ans. Or il faut reconnaître que les méthodes de restauration n’ont guère changé depuis ce temps : l’instrument est en général rapidement ouvert, le restaurateur décide de ce qui est original ou de ce qui ne l’est pas, les pièces manquantes ou défectueuses sont refaites, ce qui est décollé est recollé, l’instrument est refermé, la décoration retouchée (parfois l’instrument est repeint), enfin on remet des cordes et des becs, on harmonise, et l’instrument est livré à son propriétaire.

À première vue, rien de choquant dans ce processus ; néanmoins si on l’analyse en détail, on se rend compte des faits suivants :

  • l’ouverture d’un clavecin ancien se fait rarement sans dommage, en sont témoins les nombreux clavecins restaurés dont le fond est neuf, l’original ayant été détruit lors d’une ouverture. Or l’utilisation combinée de moyens modernes d’exploration tels radiographie et fibres optiques permettrait d’éviter cette ouverture dans bien des cas ; j’en ai personnellement fait l’expérience.
  • le choix de ce qui est original et de ce qui ne l’est pas nécessiterait de la part du restaurateur une connaissance approfondie des pratiques de chaque facteur ancien dans tous ses instruments, ce qui est généralement impossible, car on oublie souvent que le nombre d’instruments anciens que nous connaissons ne représente qu ’un très faible échantillonnage de la production d’un facteur, et qu’en conséquence il serait téméraire de bâtir des théories sur les seuls éléments que nous possédons à un moment donné, celles-ci risquant d’être rapidement démenties par la découverte d’un autre instrument, ce qui arrive fréquemment.

C’est pour ces raisons par exemple que le clavecin Dulcken 1745 de Washington (Smithonian Institution) s’est vu priver de sa double éclisse courbe lors de sa restauration (celle-ci fut d ’ailleurs restituée lors d’une seconde intervention), que le clavecin de Joseph Collesse 1775 perdit les « équerres » qui se trouvaient sous la table -on s’aperçut plus tard que tous les clavecins lyonnais avaient de telles équerres - et que plus récemment un clavecin d’Henri Hemsch 1761 se vit retirer des becs de cuir dont personne ne peut affirmer qu’ils n’étaient pas originaux. On pourrait multiplier de tels exemples.

  • Les pièces neuves sont rarement faites dans des conditions conformes aux originales : elles sont travaillées mécaniquement par des machines, et collées la plupart du temps avec des colles modernes dont les caractéristiques sont fort différentes des colles anciennes.
  • Les cordes n’ont pour la plupart que très peu de rapport avec les cordes anciennes pour la simple raison que les éléments originaux sont rares et de découverte relativement récente, et que l’on commence seulement à s’intéresser sérieusement à leur fabrication.
  • Quant à l’harmonisation, nul ne peut prétendre qu’il sait comment sonnaient les clavecins anciens ; de plus, seuls quelques instruments (une dizaine) parmi tous ceux qui furent restaurés en France sont emplumés, les autres ont reçu des becs en plastique.

Enfin il faut savoir qu’aucun des instruments restaurés en France n’a fait l’objet d’une étude technique sérieuse avant restauration (relevé, plan, photos), et encore moins de rapport de restauration précis.

En 1978, il n’est plus possible de prétendre retrouver absolument l’instrument original au travers de telles restaurations. Trop d’instruments sont ainsi mutilés chaque année et il est grand temps d’arrêter ce massacre.

Malheureusement, il s’agit là d’un problème qui met en jeu des intérêts trop complexes pour être résolu rapidement ; il est plus facile pour un facteur de bâtir sa réputation sur le nom prestigieux de facteurs anciens dont il mutile sciemment ou inconsciemment les œuvres, il est plus facile pour un interprète de se valoriser en jouant sur tel ou tel instrument du 17e ou du 18e siècle, et il faut dire enfin que le public est sensible à tous ces arguments devenus par trop publicitaires. Je suis le premier a reconnaître l’agrément immédiat qu’ont souvent procuré ces restaurations, tant pour les interprètes que pour les auditeurs, car ces instruments ont encore pour la plupart un tel charme malgré les mauvais traitements qu’ils ont pu subir (car à la restauration s’ajoutent souvent transports, changements de diapason, insuffisance ou absence d’entretien qui sont le fait de nombreux clavecins restaurés) , qu’on imagine avec envie ce qu’ils ont pu être. Néanmoins, sans chercher a nier notre plaisir, il faut maintenant envisager les conséquences a relativement court terme de ces restaurations.

Ce phénomène bien entendu n’est pas propre au clavecin et existe aussi pour les autres instruments et objets anciens. Ainsi tous les violonistes prestigieux ne manquent-ils pas de faire savoir qu’ils jouent sur un Stradivari, Amati ou Guarneri, mais en oubliant de dire que de ces luthiers célèbres il ne reste guère que la caisse dans le meilleur des cas : le manche est rallongé, renversé, la barre est différente, l’âme d’un diamètre double, la tension des cordes supérieure, le diapason plus élevé... seule l’étiquette est parfois originale (et je ne parle pas de gadgets comme la mentonnière qui viennent encore alourdir l’ensemble). Un tel violon peut au demeurant être un excellent instrument de musique, mais la référence aux luthiers anciens n’est plus, elle, qu’un acte publicitaire.

Aussi est-il grand temps de faire la différence entre restauration et conservation. Si la restauration est un acte spectaculaire qui sert nos intérêts immédiats, la conservation est au contraire un acte discret, non commercial, qui n’a d’intérêt qu’à long terme, dans la connaissance qu’elle permet d’acquérir.

 Nécessité d’une documentation

Respecter l’intégralité des instruments anciens n’est pas seulement l’acte gratuit par lequel on respecte tout objet ancien, c’est aussi et surtout conserver le seul moyen que nous ayons eu ces dernières années et que nous ayons encore d’apprendre à construire des clavecins, étant donne la rupture de tradition de près d’un siècle qui a marqué l’histoire de cet instrument, et l’absence totale de traité sur la question.

Or ce sont précisément les instruments les plus intéressants qui ont été restaurés et, par la, modifiés, et qui disparaissent donc comme source de connaissance pour ceux qui vont à partir de maintenant s’intéresser au clavecin ; d’où la nécessité urgente de constituer une documentation.

Le premier ouvrage traitant avec une relative précision de la facture du clavecin est le manuscrit d’Arnault de Zwolle écrit vers 1440. C’est aussi, hélas, le dernier.

Les facteurs de clavecins n’ont pas comme les facteurs d’orgues la chance de posséder un « Dom Bedos » (l’Art du facteur d’orgues , Dom Bedos de Celles, 1768 et 1775).

Un texte du même ordre a existé, écrit par un oratorien, le Père Carré, mais les corporations ont certainement veillé - comme ce fut le cas pour les luthiers - à ce qu’il ne pût être publié, afin de conserver leurs « secrets ».

La documentation technique précise publiée est aujourd’hui inexistante. Les rares ouvrages très sérieux tels ceux de F. Hubbard et R. Russell ou E. Rippin ne sont pas à proprement parler des ouvrages techniques, pas plus que des traités de facture de clavecin. Si les mesures qui y sont données sont suffisantes pour la compréhension de l’évolution historique et organologique, leur imprécision ne leur permet en aucun cas de servir de base à un travail technique quelconque.

Pour s’en convaincre il suffit d’examiner par exemple la longueur de la corde du do 1 pied (do4) du clavecin d’Antonio Baffo 1574 (Victoria and Albert Museum, Londres), donnée par Hubbard (op. cit. p. 38), Russell (The Harpsichord and Clavichord, 1959, pl. VII), et le catalogue du Musée V.& A. de Londres (p. 33), ouvrages dans lesquels nous trouvons respectivement do4 = 324 mm (12 3/4« ), do4 = 343 mm (13 1/2 »), et do4 = 289 mm (11 3/8") ; soit une différence de 53 mm entre les deux longueurs extrêmes, c’est-à-dire un sixième de la longueur réelle de la corde.

Nous pourrions trouver bien d’autres exemples de ce genre, mais il faut comprendre que le but de ces ouvrages n’a jamais été de remplacer une documentation technique précise - documentation que d’ailleurs des gens comme F. Hubbard, R. Russell et E. Rippin furent les premiers a constituer sérieusement. Si l’on excepte quelques musées américains, anglais et allemands qui publient quelques plans, il n’existe que peu de documents précis publics, et en France, aucun jusqu’ici.

Les facteurs sont donc amenés à constituer eux-mêmes leur documentation. II faut savoir qu’un relevé complet précis nécessite pour un clavecin environ deux mille mesures, que le tracé correct d’un tel plan demande une bonne dizaine de jours, qu’il faut en plus réaliser un minimum de 50 à 100 clichés, et qu’il faut que ces clichés soient techniquement utilisables ; pour qu’un tel relevé soit valable, il faut ensuite qu’il soit contrôlé par une autre personne. Bien entendu, il reste toujours des erreurs, mais le fait de prendre de nombreuses mesures permet de les éliminer par recoupement.

On entrevoit rapidement le coût d’un tel travail qui, de plus, réclame des compétences certaines et variées. Aussi peu de facteurs réalisent-ils de tels relevés ; ceux qui s’y consacrent doivent assumer seuls les frais et le travail afférent à ce genre d’études qui, d’autre part, ne sont véritablement utilisables que si elles existent en nombre suffisant pour permettre des comparaisons.

II serait souhaitable que les musées puissent prendre en charge une telle documentation, notamment les plans et photos, et que celle-ci puisse être publiée afin d’être portée à la connaissance du plus grand nombre. Ne nous faisons pas trop d’illusions, nous en sommes à un point où nous ne savons encore que peu de chose. Ainsi ne savons-nous pratiquement rien sur les clavecins italiens du XVIe siècle et nous pouvons affirmer que tout ce qui a été écrit sur ce sujet jusqu’ici et par les gens les plus sérieux est à remettre totalement en question depuis la découverte récente de quelques instruments. Être conscients de notre relative ignorance sur la question du clavecin et des instruments anciens ne signifie pas que nous devions pour autant nous laisser paralyser, mais il faut bien avouer que dans ce domaine, le travail sérieux vient à peine de commencer. Nous entendons aujourd’hui encore trop de propos absurdes concernant d’éventuels secrets que certains ne se privent pas d’invoquer pour masquer leur ignorance.

Si je reconnais que l’utilité de telles études n’est pas toujours immédiatement perceptible, j’insisterai sur le fait qu’une documentation considérée sous cet angle ne relève pas de l’archéologie stérile comme d’aucuns voudraient le faire croire (de toute façon s’en servent ceux qui le désirent, les autres sont libres de passer à côté) et je pense que la connaissance la plus approfondie n’est jamais un obstacle à l’action - en l’occurrence, la construction d’instruments neufs - bien au contraire.

 Les instruments neufs

Les premières années de ce renouveau d’intérêt pour le clavecin furent marquées par une polémique entre clavecin moderne et copie d’ancien. Maintenant il semble
généralement admis que les instruments modernes n’ont que de lointains rapports avec le clavecin, et qu’on aille vers une sorte de normalisation, vers un type de clavecin apparemment plus proche des anciens. En fait, tous ces instruments qui de loin peuvent se ressembler sont en réalité très différents, et par les moyens de production utilisés, et par les résultats obtenus. Nous avons choisi pour notre propos de les classer en trois catégories : les copies, les instruments inspirés des anciens, les kits.

 Les copies

Il convient de définir avec précision ce qu’est une copie de clavecin ancien : c’est un instrument dont les mesures, les matériaux sont les mêmes que ceux du modèle, et pour lequel on a usé de moyens de production semblables à ceux qui étaient utilisés pour l’instrument original, à savoir travail manuel du bois, collage à chaud, etc., étant évident que la copie est autant une question d’esprit que de mesures.

Bien entendu ce genre d’instrument est fort rare, car il demande beaucoup de temps et aussi l’apprentissage de techniques rompant avec nos habitudes. II s’agit là d’une démarche où l’on se heurte à bien des points délicats :

  • le respect des mesures nécessite un relevé très précis, mais aussi une grande connaissance d’autres instruments afin de pouvoir évaluer les retraits du bois,
    l’ influence des déformations, etc.
  • le choix des matériaux peut être difficile car il est bien peu commode de nos jours de se procurer des bois séchés naturellement et abattus correctement.
  • en ce qui concerne les techniques, le travail à la main - du débit à la finition - n’est plus guère pratiqué que par quelques-uns et demande beaucoup de temps, souvent par suite du manque d’habitude.

Enfin le facteur doit faire entière confiance à son modèle, allant jusqu’à reproduire des détails qu’il peut a priori ne pas comprendre. Si toutes ces conditions sont remplies, l’instrument alors réalisé peut-être une recréation véritable et avoir un charme peu commun. Dans le cas contraire il ne distille que l’ennui.

Dans tous les cas ce genre de travail, à condition qu’il soit entrevu comme une sorte d’école, peut être une phase très importante de l’apprentissage d’un facteur. II ne saurait être question de le considérer comme une fin en soi, le but même de ce travail étant la création d’un instrument de musique, et non un simple exercice de style.

 Les instruments dérivés des anciens

J’entends par ces termes tous les instruments construits suivant les principes mécaniques et sonores des clavecins anciens, sans être la réplique d’un instrument particulier ; les méthodes et les moyens de production étant alors de toutes natures.

Ce type d’instrument est évidemment le plus répandu car il offre un éventail de possibilités très large allant de la presque copie à l’invention pure, la seule apparence après décoration ne permettant pas de faire la distinction. Cette ambiguïté de définition permet à de nombreux facteurs de jouer sur les deux tableaux, copie, ou création, suivant les cas.

Parmi tous ces instruments, s’il en est d’excellents, il en est aussi de fort mauvais.

Dans toutes ces gradations, le premier stade est celui que l’on entend communément, mais à tort, par le nom de copie. C’est en fait l’interprétation que fait un facteur d’un instrument particulier ; il s’appuie alors sur les mesures de ce clavecin mais en tenant compte d’observations personnelles sur cet instrument ou d’autres du même type ;

Il analyse les divers processus et enfin forge sa conviction qui le guide dans son travail, adoptant une démarche similaire pour les méthodes et les moyens de construction.

Cette façon de faire qui exige beaucoup de connaissances mais laisse au facteur une grande liberté de création est celle qui, à mon sens, permet d’avoir des résultats très réguliers et qui répondent le mieux à l’idée que nous nous sommes faite du clavecin jusqu’à ce jour, à travers les instruments anciens.

Une autre méthode, à la fois proche et lointaine, s’est développée aux États-Unis, en particulier chez les facteurs de Boston. Ces facteurs aux connaissances historiques et techniques précises ont choisi de réaliser des instruments directement dérivés des anciens en standardisant ce qui, à leur avis, pouvait l’être, notamment dans les pièces mécaniques et suivant une politique de production de quelques modèles en petite série, on réalisa ainsi un gain de temps considérable grâce à l’emploi de matériaux modernes et de méthodes modernes de travail, ce qui permit de répondre à une demande devenue plus importante. Si ces clavecins s’imposent comme de bons instruments, il semble néanmoins que la réalisation non plus par un facteur mais par une équipe plus ou moins homogène d’une part, et d’autre part la reproduction en plusieurs exemplaires leur enlève charme et personnalité.

D’autres facteurs masquent leur ignorance et leur manque d’idée derrière une pseudo-création ; ils s’enorgueillissent de s’inspirer le moins possible des anciens, mêlant des données approximatives voire même contradictoires, de façon plus ou moins cohérente. Le résultat obtenu, s’il a par bonheur l’apparence d’un clavecin, n’a plus grand rapport avec un instrument de musique.

Ces instruments sont en général le fait de gens qui se sont installés facteurs sans aucune formation préalable.

D’autres facteurs enfin ont suivi une voie différente, ils réalisent leurs propres instruments suivant des critères de construction et des procédés purement personnels. Si cette façon de faire conduit souvent à défoncer des portes ouvertes, iI faut reconnaître que dans certains cas, elle nous apporte aussi des œuvres originales qui servent magnifiquement la musique.

 Les kits

Un dernier phénomène mérite notre attention, celui des kits.

La vogue des instruments à monter soi-même nous est venue des États-Unis ; et il faut reconnaître qu’après avoir piétiné dans la plus grande médiocrité, ce genre d’instrument a fait quelques progrès, la preuve en est que certains kits bien montés peuvent rivaliser avec bien des productions dites professionnelles. II faut savoir pourtant qu’aussi parfait que soit le kit, il est de toute façon limité par les moyens de production. Ainsi les bois stabilisés artificiellement, les tables calibrées ne permettront jamais de dépasser un certain stade. Ce qui est d’ailleurs regrettable, c’est qu’actuellement ce stade tend à servir de référence à bon nombre de facteurs et de clavecinistes qui alignent sur celui-ci les uns leurs productions, les autres leurs désirs. Si le kit peut titre un excellent moyen d’accéder au clavecin, il ne saurait être une fin.

Une description exhaustive de toutes ces façons de faire actuelles a pour but de mettre en évidence le fait que, derrière des apparences similaires (car les problèmes évoqués précédemment existent aussi au niveau des décorations), on trouve des instruments aux qualités et caractéristiques fort différentes, allant du pire au meilleur.

 Conclusion

II est évident qu’il s’agit là d’une vue ponctuelle et partielle ; il serait impossible d’envisager l’ensemble des problèmes posés par le clavecin dans le cadre de cet article qui n’a d’ailleurs pas la prétention de résoudre quoi que ce soit, mais simplement de soulever quelques questions qui nous semblent particulièrement importantes - et même urgentes comme celle des restaurations - et d’autant plus complexes qu’elles concernent tous ceux qui d’une manière ou d’une autre gravitent autour du clavecin, et que nous avons appelés dans notre sous-titre « clavecinambules » : interprètes, facteurs, collectionneurs, musées, compositeurs, amateurs ... dont les motivations et les intérêts sont souvent différents, sinon contradictoires.

II semble que le clavecin en soit arrivé aujourd’hui à un stade qui porte en lui-même trop de contradictions pour être définitif, et ce n’est vraisemblablement qu’en se débar­rassant de ces faux-semblants d’authenticité qu’il pourra enfin convaincre.